Comme jouer un dinosaure ou un dragon, incarner Hitler promet un sacré changement de perspective. Ajoutés à cela la gêne historique et le mauvais esprit moqueur souvent affiliés à la période, vous voila devant un jeu qui semble en avoir dans le pantalon. Secret Hitler n’est pourtant pas un jeu fondamentalement dénonciateur, moqueur, cynique ou destiné à choquer. C’est avant tout un excellent jeu de déduction qui tranche très fortement avec tous les clones de Loup-garou. Sa grande force ? Des actions semi-secrètes et des éléments décisionnels qui donnent, par à-coups de bluff et de stratégie, des indices discrètement concrets mais pas systématiquement fiables sur l’identité des joueurs. Un jeu intelligent et bien posé.

L’un des créateurs du jeu raconte, pour notre grand plaisir de curieux, ses aléas prototypiques et met à plat la force logique du jeu. À noter que le second co-créateur participa aussi à la naissance de Cards against humanity, au mauvais esprit bien différent. Il nous offre d’ailleurs une leçon de design massivement intéressante.
Le jeu est disponible à l’impression tout en bas du site web qui lui est dédié. Ses règles ne figurent en revanche que sur boardgamegeek. Bien qu’on puisse y trouver une version bulgare, Secret Hitler ne dispose pas encore de traduction en français.
Secret Hitler se joue entre 5 et 10 joueurs. Pour en profiter, il vous faudra imprimer une toute petite tripotée de cartes et tuiles diverses: 4 plateaux d’une page chacun (vous n’en utiliserez que 2 par partie), 2 promontoires à rôles, 17 tuiles législatives, 40 cartes. Le PNP étant d’origine en nuances de gris, libre à vous de jouer avec le papier pour y apporter l’opposition visuelle de votre choix.
Chaque joueur va recevoir une faction secrète. Il y a plus de libéraux que de fascistes et parmi les fascistes, il y a Hitler. Les fascistes se connaissent et savent qui est Hitler. Les libéraux et Hitler lui même n’en savent rien. Les libéraux gagnent si il arrivent à faire passer 6 lois de leur camp ou si ils tuent Hitler. Les fascistes gagnent si ils font passer 5 lois ou si Hitler accède au poste de chancelier au bout de trois de leurs lois.

Chacun son tour, les joueurs vont devenir président puis choisir un chancelier parmi les autres joueurs. Les joueurs restants votent alors pour confirmer la validité de leur gouvernement ou refuser leur accession au pouvoir (dans ce cas, le joueur suivant devient président). Le président pioche ensuite trois lois, en tend deux au chancelier qui en révèle finalement une seule. Les lois fascistes octroient des pouvoirs spéciaux au présidents suivants.
Secret Hitler rappelle globalement The Resistance, un jeu très bien décrit ici.
Aujourd’hui, c’est Raf Cordero qui parle du jeu plus en détail sur Dinganddentcast.com. En voici la traduction:
Les jeux de déduction sociaux ne sont généralement pas trop mon truc. J’aime un peu Coup (ndlr: Complot, en VF) car c’est plus du bluff que de la déduction mais des jeux comme les Loups-garous de Thiercelieux, Mafia, the Resistance sont juste passables de mon point de vue. En fait, The resistance est l’un des rares jeux que je déclinerais poliment. Je n’étais pas excité devant Secret Hitler, j’ai accepté d’y jouer à la GenCon principalement car un grand nombre de mes amis voulaient l’essayer. Je supposai alors que son succès reposait seulement sur un thème audacieux et que je me retrouverais à désirer plutôt jouer à Coup ou Skull. J’avais faux, tellement faux. Secret Hitler n’est pas seulement un jeu fantastique mais c’est aussi l’un de mes jeux préférés de l’année.
Je fus surpris de voir à quel point j’ai apprécié, vu la similarité de sa structure et de celle de the Resistance. C’est toujours une série de manches pendant lesquelles un meneur amène des camarades à le joindre dans quelques mystérieuses combines. Le reste des joueurs doit toujours approuver l’équipe en votant suite à une abondance de discussions houleuses au sujet de qui devrait être autorisé à la rejoindre. J’aime Secret Hitler car ce jeu rétréci cette notion. Il n’y a pas d’équipes de 5 pour que le méchant s’y planque. Telle la lumière d’une ampoule dénudée pendouillant dans une pièce froide et humide du sous-sol du Reichtag, Secret Hitler se concentre systématiquement sur deux personnes. Deux personnes s’esquintant à se quereller, implorer, dire la vérité ou mentir à tous les autres joueurs de la table.
Dans Secret Hitler, les équipes sont constituées de deux rôles importants. Le rôle du président se transmet autour de la table de joueur en joueur, tout comme le leader de the Resistance. Le président nomme un joueur au poste critique de Chancelier. Ces deux là forment le corps législatif qui vont déterminer qui des fascistes ou des libéraux vont avancer sur leur programme et ce sont les deux qui vont devoir faire face à un examen approfondi. Cette décision peut même mettre fin au jeu puisque les fascistes gagnent automatiquement si Hitler est élu Chancelier à n’importe quel moment après qu’ils aient réussi à faire passer 3 lois. Ce qui complique les choses, c’est qu’Hitler ne sait seulement qu’il est Hitler. L’identité de ses camarades proto-nazi lui est autant caché qu’elle l’est aux libéraux.
Ces lois représentent la discrète maestria de Secret Hitler. Elles posent les bases de l’information et vous donnent quelque chose de concret à quoi vous rattacher tandis que vous construisez votre toile de vérités et de supercheries. Le président en pioche trois et en défausse une en secret avant de passer les deux restantes au chancelier. Celui-ci en défausse aussi une en secret avant de révéler la tuile restante. C’est la loi qui passe. Il est possible, même probable, que le président ait pioché trois lois fascistes et qu’un duo de bon vieux libéraux ait juste été forcé d’avancer la montée au pouvoir d’Hitler. Il est aussi possible, peut-être probable, que le président ait défaussé une loi libérale et ment à son chancelier et à tous les autres.
Ces bouts d’information directs, fournis par deux joueurs qui sont immédiatement remis en cause par leurs adversaires, servent à construire une tour de carte précaire. L’un des deux ment. Les deux mentent. Si Tyler ment, ça fait de Susan une fasciste. Attendez, peut être que Tyler ne ment pas mais qu’il est Hitler se faisant passer pour un libéral. Après tout, on se méfie de Chris et il semble s’appliquer à faire élire Tyler comme chancelier. Les fondements de cette pyramide de duperies sont toujours basés sur un simple fait connu. La loi repose sur le plateau, disponible aux yeux et à l’examen de tous tout en cachant la motivation bien plus vitale qui l’a posé la.
Il y a des raisons, de bonnes raisons, pour que les fascistes fassent passer des lois libérales. Il y a aussi des raisons, de bonnes raisons, pour que les libéraux fassent passer une loi fasciste. Après tout quelqu’un autour de la table est un mégalomaniaque totalitaire se faisant passer pour un petit libéral propre sur lui. Les lois fascistes donnent au président des séries de pouvoirs malins, allant de mettre la pression à quelqu’un en regardant sa carte faction (une autre opportunité de mentir) à destiner un joueur à la balle de l’assassin. Tension et tromperie sont partout dans Secret Hitler. Chaque décision vient avec son opportunité de bluffer, de mentir, de tester directement les loyautés et de calomnier un camarade de jeu.
Trop de jeux de déduction sociaux finissent en puzzle logiques communs. La tension s’évapore à mesure que les votes sont faits ou les actions prises. L’espace décisionnel se réduit au fur et à mesure de l’obtention d’information. Secret Hitler renverse ce système. À chaque partie, la tension augmente. Chacun des partis grimpe lentement, en groupe, vers la victoire tandis que les probabilités connues de la pile de lois favorisent chaque équipe selon les tours. L’intérêt augmente à chaque manche et les genoux s’arrêtent rarement de s’agiter. Un sombre mal doit être éliminé du parlement et la seule façon de le faire est de relever des indices subtils, de surveiller vos opposants, les regarder droit dans les yeux et les traiter de menteur puis enfin, de se retourner vers un ami et de dire « tu es mort ».
Il n’y a aucun moyen de le nier. J’adore Secret Hitler. J’adore les indices concrets mais j’adore qu’ils ne suffisent pas. Vous pouvez être confiant lors de votre accusation mais vous ne serez jamais sur à 100%. Retrouver Hitler et les fascistes vous fait vous sentir malin et intelligent. En tant qu’Hitler, convaincre vos opposants que vous êtes l’un des leur est merveilleusement déviant. Et en tant que fasciste, aider le joueur qui n’a aucune idée que vous êtes dans son équipe (ndlr: Hitler) ou trouver un moyen de lui faire parvenir cette information vous fait sentir comme un maitre manipulateur accompli.
Secret Hitler est un jeu à ne pas manquer. Bien qu’il soit meilleur avec plus de joueurs, le jeux fonctionne très bien même à 5. Il y a un certain attrait dans les jeux qui vous autorisent à rentrer à fond dans les gros mensonges, les tromperies et manipulations. Secret Hitler s’assoit au sommet de la pile. Que vous construisiez des coalitions basées sur la confiance ou que vous travailliez à les déchirer en morceaux, personne ne se tient en retrait dans une partie de Secret Hitler.
Bien sur, la conversation ne s’arrête pas la et de nombreux avis divergents se sont fait connaitre par la suite. N’hésitez pas à naviguer sur les reviews postées sur boardgamegeek. Elles sont le fruit de joueurs expérimentés qui comparent efficacement leurs impressions avec celles ressenties durant d’autres jeux majeurs de ce type. Sinon, il y a aussi David Goldfarb, un féru de maths qui s’est échiné à décrypter les variations de probabilités pouvant l’aider à trouver les fascistes.
Pour rappel, le téléchargement, c’est par içi. Impossible de ne pas mentionner en conclusion l’incroyable habillage star war qui devrait un peu dédramatiser le jeu si besoin.