Shipwreck Arcana est un jeu de déduction coopératif de 2 à 5 joueurs sorti en… 2017 ? 2018 ? Ha, la mémoire me manque. Que m’aurait-il couté de vérifier la date au lieu d’écrire ces mots ? 2017 me dit leur Kickstarter mais ce n’est pas le plus important. Avez vous remarqué ces réjouissants petits mots-clefs qui font le cœur de ma première assertion ?
Le monde du print and play ne regorge pas vraiment de jeux coopératifs, Shipwreck Arcana en devient donc immédiatement à la fois rafraichissant et très intrigant. Un jeu de déduction en sus ? Notre esprit vagabondera immédiatement vers Hanabi et The game et il n’aura pas si tort. Le mélange semble d’entrée de jeu très prometteur, surtout porté par des visuels aussi merveilleux.
Pour jouer aux Arcanes du Désastre (aux Arcanes du Naufrage ? de l’Épave ?) , il vous faudra imprimer 36 cartes recto-verso format tarot (désolé pour vos pochettes plastiques taille standard) et découper dans le matériau de votre choix une cinquantaine de pions carrés sans fioritures qui seront simplement numérotés par la suite. La majorité de ces pions servant de mémos, vous pouvez aisément vous passer de fignoler ceux dont vous ne vous servirez jamais.

Le fichier proposé par l’éditeur est quasiment complet. Il intègre avec naturel l’extension stars below de 2019 qui rajoute quelques cartes cruciales à la difficulté de jeu mais omet la carte promotionnelle Imago de 2018 dont on peut facilement se dispenser. À cause de cette incrustation de nouvelles arcanes, cependant, le jeu dispose de 35 cartes à jouer là ou les règles traduites en français n’en mentionnent que 20. Ne vous étonnez donc plus de cette différence minime et jouez avec les 35.
Fait incroyable, le print and play de shipwreck arcana est disponible gratuitement et probablement indéfiniment, directement chez l’éditeur qui, en sus, a eu l’élégance de faire traduire les règles en français. Les cartes restent en anglais mais un anglais mathématique simple et dans un vocabulaire suffisament récurrent pour qu’en quelques parties, tout soit évident.
C’est bien beau tout ça mais ça ne nous indique toujours pas ni comment on joue, ni pourquoi on joue.

Le monde a sombré sous le déluge et l’humanité périclite. Les joueurs devront prédire les fatalités qui menacent de s’abattre sur leur groupe soudé, les désamorçant par la même occasion.
On dispose sur la table de jeu 4 cartes Arcanes issues du deck complet. Chaque joueur pioche jusqu’à avoir en main deux jetons Fatalité qu’iel ne révèle à personne. À son tour, le joueur actif devra poser l’une de ses fatalités sur l’une des cartes Arcanes disposées au centre de l’espace de jeu. Les cartes Arcanes ont des capacités d’accueil spécifiques et on ne pourra poser un certain jeton qu’en remplissant une condition particulière (mes deux jetons Fatalité sont impairs, l’un de mes jetons est le double du second, etc).
Le joueur actif n’a pas le droit de proférer le moindre son ou d’esquisser le moindre geste évocateur. La pose d’un jeton Fatalité sera donc son seul moyen pour distiller des indices sur le second jeton qui lui reste en main.
Une fois le jeton fatalité posé sur une carte Arcane, le groupe (à l’exclusion du joueur actif) peut décider de formuler ce que le jeu appelle une prédiction: les autres joueurs peuvent tenter de deviner la valeur du jeton restant dans la main du joueur actif. Il faudra réussir 7 prédictions durant la partie pour gagner. En revanche, une prédiction erronée engrange un point de Jugement. Au bout de 7 points de jugement, la partie est perdue.
Ça semble fort simple et pourrait rester assez plat si ce n’était couplé à une autre mécanique terrifiante: le Flétrissement. Chaque carte Arcane ne peut accueillir qu’un nombre limité et aléatoire de pion Fatalité avant de Flétrir. Une carte qui flétrit engendre deux points de Jugement mais procure aussi un pouvoir à usage unique permettant d’affiner de futures prédictions. Il est heureusement possible de mitiger les flétrissements mais cela donnera lieu à de nouveaux choix parfois cornéliens.

Le thème n’est pas vraiment important, quoi qu’il génère un deck fabuleux de cartes de tarot magnifiquement illustrées et un vocabulaire interne mystérieux autant que prenant. L’ambiance, toutefois, est cruciale et transporte le jeu hors des jeux d’apéro à la petite semaine. Chaque carte, qu’on croirait tout droit sortie d’un hors-série de l’excellent Hellboy de Mike Mignola, raconte pourtant discrètement une histoire qui se tisse d’arcane en arcane. Les joueurs facétieux et persévérant pourraient essayer de repérer d’eux même les éléments qui se répondent entre eux (l’épée manquante de la chasseresse plantée dans la bête, par exemple) mais fort heureusement, tous les autres joueurs n’auront qu’a télécharger un petit pdf en anglais agglomérant ce que l’éditeur a révélé au fil du temps sur les liens entre les personnages dessinés.
Le jeu mélange logique, déduction et une petite dose rigolote de mathématiques simples. Certaines cartes sont très circonstancielles tandis que d’autres seront de sacrés obstacles logistiques qui, mal considérées ou prises en compte trop tardivement, pourront faire sombrer une partie. Une bonne dose de chance donnera lieu à des résolutions immédiates sans effort mais en général, le doute ne quittera jamais vraiment votre esprit.

Avec ses 35 cartes et ses 21 jetons fatalité, le jeu peut sembler foisonnant pour son type de gameplay déductif mais ne vous y trompez pas, il se joue définitivement à l’économie et les points de Jugement s’accumuleront suffisamment rapidement pour laisser assez peu de place à l’erreur. D’autant que l’heure tourne et qu’un excès de prudence sera aussi durement puni que les suggestions inconsidérées. Le coté course induit par les deux pistes de score ajoute beaucoup à l’ambiance du jeu. Le silence imposé au joueur actif rappelle bel et bien Hanabi et provoquera immanquablement les même cris du cœur tant en cas de prédiction réussie que d’échec. D’un autre coté, déduire une carte restée en main en fonction d’une carte jouée fera évidement penser à Love Letter et il faudra impérativement retrouver cet état d’esprit déductif par espace négatif. C’est bien souvent là ou le joueur n’a pas joué que résideront les indices les plus fondamentaux.
N’espérez pas meuler votre deck. Acceptez votre destin déployé directement devant vous et tentez de voir le moins d’Arcanes possible péricliter (sauf lorsque la stratégie s’y prête). Le renouvellement se fera plutôt de partie en partie tant les combinaisons Arcanes-Fatalités sont pléthoriques.
Les pouvoirs sont variés et calculatoires. L’anglais peut initialement s’avérer une barrière qui disparaît avec l’assurance engrangée par les parties qui s’enchaînent. L’alcool aussi est une belle barrière à la réflexion et sortir shipwreck en fin de soirée n’en sera que plus amusant.
Le jeu est très accessible, passé les quelques premiers tours de jeu a assimiler l’importance de toutes les incitations des arcanes. Bien que relativement léger (la plupart des déductions coulent de source) et plus facile qu’hanabi (car ne reposant pas sur la mémoire a moyen-long terme des joueurs), le jeu ne permet toutefois pas souvent l’inattention. L’ensemble des cartes disponibles sur la table émettent un faisceau d’indices vaste et même si les coups de pokers ne sont pas rares, ils sont aussi très raisonnables et efficaces. Et si la situation peut parfois apparaître comme stagnante, accepter de ne pas avoir systématiquement de bons indices à donner aidera a faire avancer la partie.
L’éditeur met élégamment des templates d’Arcanes à disposition des joueurs. Si c’est là l’occasion de créer de nouvelles cartes pour renouveler le jeu, compenser certains déséquilibres ou l’améliorer selon ses préférences, c’est surtout l’opportunité rêvée de créer de nouveaux thèmes. Je sens poindre le redesign Hellboy de derrière les fagot.

Me laisser emporter avec enthousiasme par Shipwreck Arcana me donne aussi l’occasion parfaite de décortiquer rapidement le jeu précédent de Meromorph, Norsaga, dont je devais vous parler depuis… mmmh… 2018. Attention, le bilan sera moins joyeux.
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