Deity

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Deux écoles s’affrontent lorsqu’il s’agit de parler de jeu solo. Il y a d’un côté les amateurs et amatrices de Vendredi, petit deck building pépère. 3 règles à tout casser, difficile mais instinctif, facile à sortir à tout bout de champ. Et de l’autre les amateurs et amatrices de Robinson. Même thème et pourtant une toute autre intensité. Un foisonnement riche et complexe, une aventure qui laisse mentalement essoufflé·e.

Deity, malgré son apparente sobriété, s’essaye à cette seconde catégorie. Vous en avez marre des solo simplistes mou du slip? Vous voulez fumer un peu du cervelet? Alors pourquoi pas mais pas tant que ça. Les règles de Deity, ambigramme ambigu, ne sont touffues qu’à cause de l’approche passionnée de leur créateur, aussi à l’origine du solo sans alliés qui finira bien par avoir droit à sa propre chronique ici. On y perçoit en effet les rouages de pensée d’un auteur qui maitrise le jeu sur le bout des doigts et ne subdivise pas les informations comme le ferait un joueur lambda découvrant la bête. Après la confusion initiale de certains concepts assez similaires sur papier mais bien dissemblables sur table, le jeu se fait plus fluide. Prévoyez toutefois un agencement confortable de votre livre de règle car vous allez en avoir besoin souvent, ne serait-ce que pour éviter de faire des bêtises lors d’évènements spéciaux cruciaux qui chamboulent puissamment toute partie.

8 pages de cartes verso étrangement réparties (car il faudra imprimer en double les deux premières), quelques jetons à votre convenance et 9 pages de règles en anglais qui auraient pu en faire 6 constituent l’entièreté du jeu que l’on peut télécharger directement sur le site de l’éditeur (et non sur boardgamegeek). Une fois le matériel rassemblé, 5 piles nations symbolisées par une carte échelonnée sont initiées. Une pioche de cartes civilisation est mélangée face cachée. Trois pouvoirs divins sont mis en attente et une pile d’époque alternant cartes guerre, avancée technologique et changement d’époque s’érige non loin.

Un tour de jeu est très simple:
– Chaque carte nation disposée sur la table reçoit un nombre de carte civilisation qui lui est propre. Si une carte spéciale guerre ou avancée technologique apparait, il faut la résoudre à la fin de ce stade.
– On peut ensuite déplacer des cartes civilisations d’une nation à une autre suivant un nombre d’action fluctuant en fonction des époques.
– Si des agencements spécifiques de symboles apparaissent à la fin de toutes les translations, on les résout puis un nouveau tour commence.
Le schéma de jeu est donc très facile à appréhender. Derrière ces quelques actions évidentes se cachent bien entendu une pléthore de sous-règles qui font de chaque choix un véritable défi.

Sur chaque carte civilisation figurent des symboles qui, suffisament cumulés dans une colonne nation, provoque divers effets. Le jeu utilise un système de set (collection) pour débloquer ces conséquences ludiques variées. Il faut ainsi, au sein d’une même colonne, enchainer strictement 3 symboles du même type ou en révéler 4 au total sans que ceux-ci aient besoin d’être en contact les uns avec les autres. Certaines subtilités entrent ensuite en jeu: les cartes nation qui servent de base à chaque colonne disposent aussi de symboles qui comptent lors d’un set de 4 mais pas lors d’un set de 3 consécutifs. La Nourriture, en quantité adéquat, permet de doubler un symbole Population ou Ressource. Population et Ressource permettent, de concert, de créer un monument qui vaudra des points en fin de partie. Les symboles Technologie font eux passer la nation concernée à un palier technologique supérieur.

Ce passage à un niveau technologique supérieur est l’un des éléments clefs du jeu. La nation concernée débloque le palier suivant décrit sur sa carte. En fonction de son avancée personnelle, une nation voisine peut aussi profiter de l’exaltation technologique et passer un palier. Si la nation à l’origine de l’avancée dépasse le palier correspondant à l’époque en cours, tout est chamboulé. L’époque passe alors aussi à l’étape suivante libérant des cartes guerres et avancées qui intègrent immédiatement la pioche des cartes civilisation. Surpasser technologiquement la valeur de l’époque en cours est donc la seule façon de faire progresser la pile d’époque, amenant lentement la fin de partie. Il existe de nombreuses façons de faire avancer technologiquement une nation et il faut s’en prémunir intensément. Le jeu favorise assez fielleusement un syndrome kingmaker que vous voulez enrayer à tout prix. En effet, point de concurrents vivants desquels se méfier mais des nations qui cohabitent dans votre partie solo et un système de scoring exponentiel qui punit sévèrement les avancées trop précoces de nations dominantes. Il faudra tâcher d’équilibrer finement les progrès de chacune.

Parmi les éléments supplémentaires amenant de la richesse au jeu, il faut citer:
– un système de chaines de symboles qui permet de déplacer plus d’une seule carte avec une seule action mais qui empêche parfois d’éviter des symboles malheureux.
– un système d’allocations de cartes malus sobre mais puissant qui fera craindre toute explosion technologique imprévue.
– un système de décompte de points de victoires lié à l’accumulation de monuments qui, secrètement, se focalise en réalité en creux sur l’absence de monument.
– un système de symboles de défense militaire qui influe sur la capacité à transvaser des cartes d’une nation à une autre, alternant effets de cascade stratégiques et dilemmes à résolution rapide.
-un système de retrait de monuments déjà construit qui amènera immanquablement à des sacrifices.
-un système de déblocage progressif et d’intégration de cartes pièges perturbatrices.

Une partie se termine lorsque toutes les cartes de la pile d’époque ont été disséminées sur la table. On compte alors les points en fonction d’un barème précis et inhabituellement mathématique un peu déconcertant et totalement contre-intuitif. Le jeu se veut court (et la rapidité d’évolution des nations sera d’ailleurs un élément à surveiller avec attention) mais dépendra surtout des précautions que vous prendrez lors du déplacement de vos cartes ou lors du déclenchement d’effets de jeu.

Les appellations nation et civilisation sont à prendre avec des pincettes car le jeu se rapproche plus d’un solitaire customisé que d’un eurogame diplomatique. En se prenant un minimum au jeu, cependant, l’ambiance liée à un god game réapparait sans trop de peine. Les flux de personnes, les maladies éradicatrices, les guerres et les multiples avancées se répondent efficacement à mesure que chaque mouvement sur la table de jeu trouve son sens thématique. Une fois les concept fondamentaux d’avancée technologique et d’époque maitrisés, il est ensuite assez aisé de s’y retrouver. Les parties progressent par étapes scindées et les sous-systèmes ne s’entrechoquent rapidement plus. Il faut prendre le temps de décortiquer l’étrange calcul du score pour saisir les actions optimum à entreprendre.

La démarche vous apprendra notamment que toute carte spéciale qui apparaît de la pioche sera une malédiction. Un piège lié aux jeux de civilisation classiques serait aussi de se laisser tenter par une course à l’avancée technologique alors que c’est par la multiplication des monuments que se joue le score. Il ne faut pas hésiter à faire voyager ses cartes le plus loin possible, c’est là que réside le cœur caché du jeu. Le but du jeu est au final de répartir au maximum les cartes malus attribuées aux nations (car les cumuls se payent très cher) , d’éviter qu’une nation se retrouve sans monument et d’équilibrer les avancées technologiques de chaque colonne.

L’agréable post-face du designer précise que Deity est né dans l’espoir d’assouvir certains plaisirs cardinaux de l’auteur: la joie de l’agencement de cartes à la klondike, le plaisir galvanisant des jeux de civilisations, l’absence de lourde mise en place, le plaisir de se creuser un minimum la tête pour obtenir des résultats probants. Il avoue en être pleinement satisfait. J’en suis étonnement pleinement satisfait aussi. En serez-vous pleinement satisfait ?

Image de couverture provenant de l’auteur du jeu. J’aimais beaucoup de le rendu brut du papier de ses cartes.

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