Royals

Un adage du journalisme (ou du moins de la critique de divertissement) que j’ai adopté dans une certaine mesure pose en gros la question: « Pourquoi perdre du temps (ou de l’énergie) à démolir quelque chose de mauvais alors qu’il y a tant d’excellentes choses à mettre en avant ? » En vérité, je ne fais ici que rendre compte de mes expériences ludiques, en vrac et de façon presque exhaustive puisque je n’imprime pas des centaines de cartes chaque semaines et qu’à mesure que mon étagère ne cesse de se remplir, le choix des jeux à garder (ou même de ceux à envisager) se fait de plus en plus cornélien. Il me faut ainsi parfois mentionner mes déceptions, surtout quand mes derniers coups de cœur en date demandent un peu plus de temps de description que je ne peux leur en allouer. Certains articles ne verrons probablement jamais le jour. Moogh, par exemple, m’est un peu passé au dessus à cause d’un livret de règles en anglais assez imbitable. Je parlerai peut-être un jour de Goblin mountains mais pas avant d’avoir rassemblé suffisament de motivation tant le jeu, que j’ai tout de même trouvé sympathique, ne m’a pas paru spécialement époustouflant.

Cet article, vous l’avez senti venir, est donc dédié à un jeu au sujet duquel mon avis est, au mieux, mitigé.

On y vient.

Royals est un jeu de carte de 2 à 4 joueurs imaginé en 2013 pour un concours de micro jeux organisé par l’imprimeur à la demande The Gamecrafter. C’est d’ailleurs sur leur site qu’on peut récupérer gratuitement ses fichiers, un peu en dessous de l’option d’impression payante. Le concours a été gagné, au passage, par Dig down dwarf, dont je ne peux que continuer de vanter les mérites. Royals ne prendra pas beaucoup de temps à constituer puisqu’il vous suffira d’imprimer quelques pages de règles (entre 3 et 6 en fonction de vos préférences de format) et quatre pages de cartes recto, pour un total de 34 cartes à découper et d’un livret à agrafer. Le jeux tient dans la main (mais ne s’y joue pas), dans la poche, presque dans le portefeuille, définitivement dans les boites de serviettes hygiéniques qui, par chez moi, remplacent à merveille les mint tin à l’américaine.

Chaque participant·e à une partie de Royals pioche 5 cartes puis, à tour de rôle, en pose une sur son espace de jeu jusqu’à ce que toutes les cartes soient mobilisées. On compte alors les points (de Domination) et un ou une vainqueur s’élève des restes fumants de cette fugace mêlée pseudo-politique. Une telle simplicité pourrait faire très peur mais Royals, qui cherche vaguement à singer l’ambiance des intrigues de cours, se concentre en vérité sur les conditions de pose des cartes et sur les interconnexions que cela crée.

On peut convoquer une carte de deux façons différentes: en tant que Consort ou en tant que Conspirateur. Un effet particulier à chaque personnage (décrit sur la carte) se déclenche en fonction du rôle qu’on lui choisit. Déployée comme conspirateur, une carte n’octroie pas de points de victoires mais permet de profiter immédiatement d’un pouvoir influençant la manche en cours. Pour poser une carte dans le rôle de Consort, il faut se défausser d’un nombre de cartes variable. Ces cartes sacrifiées sont appelées Soutiens et sont glissées sous la carte en question. Celle-ci rapporte alors des points de victoires en fin de partie et débloque des synergies conditionnelles qui peuvent démultiplier les gains de Domination. Chaque carte appartient en outre à l’une des deux factions du jeux, royalistes ou impérialistes, qui n’importent que dans les combos.

Voici, en deux paragraphes, l’entièreté d’une partie de Royals. De loin, cette concision est assez tentante. Facile à imprimer, à trimballer, à apprendre, à présenter, le jeu est aussi visuellement très léché (surtout pour la période). Les ornements chargés répondent intelligemment à la mignonnerie des intrigants dans une ambiance un peu parcheminée qui maitrise très bien la répartition des informations ludiques.

Malheureusement, les stratégies s’imposent mais ne se valent pas. Le jeu est bardé de bonnes idées discrètes et de combos un peu inhabituels mais reviennent immédiatement les plus appréhensibles. La main initiale de 5 cartes est furieusement limitante et frustrante. Elle induit d’office une démarche d’optimum, une recherche du score immédiatement et indéniablement maximal. Double problème: certaines mains sont donc naturellement meilleures que d’autres. Aucun équilibre la dedans, aucune mitigation. Ensuite, passer plus de 5 minutes en silence à réfléchir à la meilleure combinaison de ses cartes pour conclure la manche en littéralement moins de deux minutes crée un autre déséquilibre légèrement inconfortable. Enfin, le jeu ne se joue officiellement pas en plusieurs manches. Une manche représente l’entièreté d’une partie. Il est facile d’enchainer les parties et de noter les scores mais l’absence de cette précision dans les règles finit d’interroger.

Composer avec ce qu’on a pousse généralement à la créativité. L’idée se révèle ici simplement initiatrice d’une recherche nécessaire de la combinaison idéale, de l’unique réponse parfaite. La hantise de choix sub-optimaux ne quitte jamais l’esprit. Le jeu multiplie les possibilités mais sans nous laisser les utiliser. Il faut s’en tenir à un choix initial frugal et espérer qu’il sera le bon. Les scores sont assez maigrelets. La course au points aurait dû en sortir ravivée, bien exacerbée, mais au final, la sobriété de cette main pousse à jouer à l’économie et à la rentabilité pure, très autocentrée, peu exaltante.

Father geek, dans une video sur le sujet, ne cesse de répéter qu’il faut persévérer, qu’une simple poignée de parties ne permet pas de saisir pleinement l’efficacité des combos potentiels. Il précise que le jeu prend corps lorsqu’une poignée de participant·es au même niveau d’implication se retrouve autour de la table mais je serais bien incapable de regrouper une telle troupe. Je le comprends lorsqu’il dit qu’un certain effort est nécessaire pour atteindre le cœur du gameplay. J’ai prêché pour la même paroisse, probablement plusieurs fois, d’ailleurs.

Les variantes semblent ultra nécessaires. On peut aussi imaginer des manches multiples durant lesquelles les cartes précédemment posées ne sont pas remballées mais la proportion de hasard total restera tout de même encore trop forte sans le draft optionnel.

A deux, le jeu n’a, en l’état, aucun intérêt.
A 4… Les joueurs et joueuses s’entrechoquent un peu plus. On peut percevoir à ce moment les stratégies d’empêchement qui peuplent les pouvoirs. Les options de nuisances se démultiplient mais ne sont toujours pas spécialement rentables et s’utilisent plutôt par dépit. Apparait une nouvelle source de frustration: devoir dépenser des cartes pour pouvoir en poser d’autres crée des décalages assez marquées dans les tours de jeu. Le choix est certes brulant mais un joueur ou une joueuse qui posera une carte puissante, perdant toutes les autres au passage, vivra une manche de jeu bien plus pauvre et désagréable que ses adversaires qui combotent. Et puisque tout le monde pose une carte à tour de rôle, patienter deux ou trois tours sans rien faire sur une manche de 5 tours max est assez désespérant (bien qu’incontestablement rapide).

Un peu comme le pseudo love letter, j’ai très envie de laisser sa chance à ce jeu donc la compacité et le style continuent de m’alpaguer. Il sera comme bien d’autres discrètement mis au rebut par la force des choses car les jeux qui me sont fondamentalement plus agréables sont, comme en démontre ce site, légion.
Je serais tenté de vous dire que pour l’encre et le temps de conception que Royals demande, vous pourriez très bien l’ajouter à un projet en cours sans que ça n’impose de quelconque charge supplémentaire mais je n’ai, en l’état, pas assez apprécié les quelques parties que j’ai enchaîné pour véritablement faire cette remarque de bon cœur. Les commentaires des usagers de The Game crafters sont pourtant totalement dithyrambiques. Je garde Royals en tête en continuant d’espérer trouver la juste combinaison de règles optionnelles et de règles maisons qui me permettra de le ressortir plus naturellement mais persévèrerais-je suffisament dans cette tentative d’équilibrage avant d’oublier totalement ?

Problème tout à fait personnel pour conclure. Mon impression ne me permet absolument pas de discerner les factions dans la pénombre perpétuelle de mon salon troglodytique. Le style des cartes est assez fabuleux et la disposition des informations d’une fluidité exemplaire mais outre la forme des blasons, impossible de différencier le bleu du rouge.
Je le répète, problème tout à fait personnel mais qui ne m’aide pas spécialement à améliorer mon expérience de jeu.

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