Descended from the queen

Si les jeux legers et sociaux reposant sur les mots et les intrepretations, comme, disons, Omniana, Dixit ou Codename, sont admis dans la grande famille générique des jeux de société, tendance jeux d’apéro, pourquoi ne pourrait-on pas y inclure une lignée ludique qui en reprend les caractéristiques principales tout en en transcendant les implications ? Au final il ne s’agit généralement que de répondre aux questions posées par des cartes, n’est-ce pas?

Il n’est pas rare qu’un jeu de rôle, pas forcément narrativiste, assume ses origines et officialise fièrement les racines du système qui forme son cœur par une élégante formule. Les jeux se regroupent alors en communautés centrées sur les même principes ludiques dorénavant reconnaissables. Le libellé de ce type le plus connu serait PBTA, un sigle signifiant Powered by the Apocalypse / Propulsé par l’Apocalypse (du nom du jeu fondateur Apocalypse world et de son système de jeu). On peut aussi citer les jeux Forged in the Dark (du jeu Blades in the dark) ou la sympathique famille des 5min-e.

Dans la même veine, j’ai grande joie à mentionner les jeux Descended from the queen, une lignée ludique discrètement vivace dérivée du principe de jeu de For the Queen / Pour la reine.

On joue très simplement aux jeux Descended from the queen: à tour de rôle, un·e joueur·euse pioche une carte, en lit l’intitulé et y répond. La longueur de la réponse peut varier en fonction de nos inspirations mais aussi de l’ambiance voulue ou du travail commun de création. Il est possible de narrer une situation ou de l’habiter, selon les desiderata de la carte. Tout le monde peut participer à la génération de la fiction, en posant des questions ou en suggérant des éléments. Quiconque ne peut ou ne veut répondre a la possibilité de passer la carte question au joueur ou à la joueuse suivant·e. Un thème trop désagréable pourra aussi être discrètement défaussé à la demande d’un·e participant· mal à l’aise. Une carte spécifique déterminée en début de partie et glissée à un endroit stratégique du paquet marque la fin du jeu par une question qui englobe les problématiques ludiques abordées et demande aux joueur·euses de conclure en affermissant leur cheminement.

L’excellent site français For the drama liste des jeux gratuits accessibles sur écran qui utilisent ce système. Ces jeux sont fabuleux et, même si ils se regroupent sous une même bannière en terme de processus de jeu et d’aspirations psychologiques, sont thématiquement très variés. Le format narratif permet d’explorer des sujets complexes avec honnêteté et douceur. On peut bien entendu choisir des thèmes un peu plus farfelus ou second degré mais la base du système joue sur nos capacités d’introspection et d’empathie, ce qui s’avère assez complexe à replacer épisodiquement dans une plus grande aventure à l’ambiance inappropriée. C’est bel et bien la propension du système à nous poser des questions intimistes et morales qui en fait un ovni ludique aussi marquant.

Le catalogue de jeu s’étoffe constamment, un peu à la manière quasi exponentielle des jeux de rôle en une page de TL;PL (trop long; pas lu). La qualité d’écriture des questions est aléatoire mais la possibilité de tester les jeux en dématérialisé avant d’en faire quoi que ce soit de physique permet un tri efficace. En quoi est-ce du PnP? Les images utilisées dans cet article devraient empêcher cette question d’aller trop loin passée votre glotte. Ma pratique des petits jeux de cartes à emporter a créé des habitudes insoupçonnées mais je trouve aussi plus facile d’expliquer le concept et de le faire accepter à des néophytes grâce à une physicalité rassurante et manipulable. Les versions dématérialisées, sur écran, sont toutefois extrêmement efficaces et fluides, ayant en outre la vertu de rester indéfiniment à portée de main, dégainables en un instant et utilisables en tout temps.

Mes choix initiaux de jeux Descended from the queen, ceux qui se baladent souvent au fond de mon sac, sont les suivants:
Oriente, une plongée angoissante dans une forêt brumeuses qui met joueurs et joueuses face à eux même lorsque leurs inquiétudes et indécisions cristallisent les menaces sylvaines. L’oubli et les créatures rodent. Mon itération favorite par l’extraordinaire Thomas Munier.
For the Elder Ones, bien sur. Qui n’a pas envie d’inventer librement les horreurs cosmiques qui surgissent dans les ruelles poisseuses d’une ville côtière indéterminée, à la manière d’un auteur célèbre mort depuis longtemps ?
For the crown, l’efficace pseudo-version gratuite du jeu payant d’origine. Trahisons et ambitions à l’ancienne dans la cour royale de votre choix.
Pour la terre promise, dont les thèmes du déracinement, de l’acceptation, de l’intégration m’attirent. Le genre de sujet qu’il m’est impossible d’amener sur d’autres supports.

Je garde un œil sur quelques autres jeux, notamment For the band, Sur le canapé et Dernier donjon mais les quelques jeux précités m’offrent déjà un grand nombre de possibilités de parties, l’aléatoirité des tirages et la composition du groupe de participant·es renversant drastiquement et dramatiquement la teneur de chaque histoire. Il n’est pas difficile de trouver des joueur·euses, il suffit juste de ne pas oublier d’expliciter, d’un commun accord, l’ambiance envisagée à la table et d’accepter que celle-ci soit différente de nos ambitions initiales ou de nos fantasmes imaginés prélalablement en solitaire.

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