Mad love

The mind est un jeu détonnant. On connaissait déjà les jeux à communication limitée avant son apparition hallucinante, grâce notamment à l’ardu Hanabi. Voila que nous pénétrons maintenant dans le domaine de la… télépathie? Le débat est d’ailleurs assez mouvementé. The mind est-il vraiment un jeu ou un simple délire ? Les esprits s’échauffent à la mention de cette étrange proposition. Mais the Mind n’est pas le sujet des quelques paragraphes qui suivent. The mind est une excuse, un prétexte, un appât, une occasion rêvée de mentionner un autre titre qui s’aventure dans les landes déroutantes du silence coopératif.

La même année a en effet vu naitre chez un obscur éditeur aux propositions visuelles fantasmabuleuses Mad Love, une odyssée lovecraftienne psychotique muette pour strictement deux joueurs / joueuses. Les 18 cartes qui constituent l’entièreté de ce jeu sont encore disponibles sur sa page de socio-financement. Les verso ne sont pas inclus dans les fichiers offert. Il n’est pas spécialement nécessaire d’en customiser pour l’occasion mais avec 18 cartes qui vont passer une majorité de leur temps face cachée, un supplément de fioritures visuelles n’est ni de trop ni insurmontable à produire.[1] Attention toutefois à leur parfaite neutralité, il ne faut (encore plus que d’habitude) pas pouvoir les distinguer les uns des autres. Enfin, il vous faudra deux marqueurs ou, si vous êtes de ce camp là, deux trombones. La plus grande tragédie de ce jeu se dévoile immédiatement. Les fichiers ne sont en effet disponibles qu’en noir et blanc, nous privant ce faisant de couleurs vives qui démultiplient l’agréabilité visuelle d’illustrations à la Mignola déjà très impactantes.

Mad love retrace le parcours chaotique et mutique de deux archéologues coincés dans un plan d’existence supérieur constitué des hallucinations oniriques typiques de l’auteur du Mythe de Cthulhu. Il leur faut se retrouver l’un l’autre puis s’échapper (atteindre un score d’Amour suffisant) avant de sombrer dans la folie la plus pure (atteindre un score de Folie aggravant).

On place entre les deux participant·e·s 4 cartes faces cachées en carré de 2×2 appelé dreamscape (plan des rêves). Le ou la premier·e à jouer se saisit de deux cartes qui constitueront sa main et d’une pile de pioche de 9 cartes. La seconde personne récupère aussi 9 cartes dans lesquelles piocher mais ne prend qu’une seule carte dans sa main de départ.

Un tour de jeu n’est composé que d’une seule action mais au combien cruciale: le joueur ou la joueuse active doit prendre la carte la plus ancienne de sa main et l’intégrer (toujours face cachée) au plan des rêves (le carré de 2×2) à la manière du jeu de plateau antique labyrinthe : en faisant coulisser une colonne ou une rangée de façon à évincer la carte opposée.

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Cette carte face cachée qui se retrouve expulsée du plan des rêves, on la révèle selon certaines conditions. Si la carte à été poussée latéralement, on la défausse. Le joueur ou la joueuse suivante pioche alors dans sa pile personnelle et active l’effet de cette nouvelle carte avant de l’intégrer à sa main.
Si la carte a été poussée en direction d’un joueur ou d’une joueuse, elle est révélée immédiatement, son effet s’applique puis elle intègre la main de ce même joueur ou de cette même joueuse sans que celui-ci ou celle-ci ait donc à piocher. Les cartes sont ainsi régulièrement recyclées et se souvenir de ce que son ou sa partenaire a actuellement en main s’avérera aussi difficile qu’absolument nécessaire.

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Mad love est un exercice psychique éprouvant. Comment ça, vous ne pouvez pas lire dans les pensées de votre acolyte ? En réalité, le jeu n’a pas grand chose à voir avec The mind en dehors d’un aspect fondamental: le développement et le polissage de vecteurs de transmission d’information indirects. Sans parole, sans geste, nous apprenons de nos erreurs et intensifions notre compréhension des réflexes de son ou sa partenaire. On pourrait lui trouver aussi quelques ressemblances plus mineures avec Hanabi, surtout puisqu’il s’agit tout deux de jeux de mémorisation plutôt que de jeux d’intuition, malgré une propagande qui tend vers la déduction.

Mad love génère des impressions plus mitigées que ses deux confrères pré-cités. L’enthousiasme faiblement constaté est justifié par des parties reposant sur une ambiance de jeu beaucoup plus posée, calme, réflexive, perturbante dans le cadre d’un jeu coopératif rapide (les parties durant 5 bonnes minutes). Il est fréquent de voir un participant ou une participante désintéressé·e décrocher au bout de quelques tours de réflexion solitaire. À l’inverse, ceux et celles à la mémoire titanesque n’auront aucun mal à suivre le positionnement des cartes. Le commun des mortels, ceux et celles qui ne se rappellent pas vraiment ce dont iels ont diné la veille mais se plaisent néanmoins à essayer, trouveront dans ce jeu un défi convenable. Agréable, même, tant la proposition ludique est inhabituelle.

Mad love fonctionne en vase clos qu’il faut alimenter avec grandes précautions. Un peu comme un bocal à la contenance limitée qu’on ne peut vider qu’entièrement ou pas du tout, le jeu se nourrira de nos erreurs ou de nos bons choix, les réinjectant sans cesse sur le plateau dans un cercle qui sera vertueux ou vicieux selon nos capacités d’appréhension. Un plateau favorable sera synonyme de victoire facile tandis qu’il faudra déployer des trésors de précautions pour améliorer un plateau un peu trop piégé. La moindre seconde d’inattention vous fera immédiatement perdre le fil du placement des cartes sur le plan des rêves. Avec seulement 17 cartes à jouer (+1 carte de score) et des doublons dans les cartes, les même effets sont destinés à revenir régulièrement. Le jeu est résolument plus répressif qu’orienté vers votre victoire. Il faudra batailler pour garder constamment les maigres cartes Amour sous la main et de petites pointes d’appréhensions parsèmeront la partie à mesure que les oublis s’accumuleront.

Le thème de Mad love est aussi plaisant qu’il est plaqué sur le jeu. Les actions mécaniques n’ont pas vraiment de logique dans cet environnement tel qu’il est décrit, ce qui peut rendre les (pourtant très peu nombreuses) options un tantinet confuses. Puisqu’elles n’ont pas de cohérence spécifique en dehors de l’équilibrage de la partie, les contraintes qui parsèment les tours de jeux sont initialement un peu absconses. Une poussée horizontale ne déclenche pas les mêmes effets qu’une poussée verticale, sans véritable raison thématique. Chaque joueur doit de même obligatoirement jouer sa carte la plus ancienne, ce qui, bien que logique en y réfléchissant d’un point de vue de design théorique, s’avère absolument contrintuitif. Une fois les quelques points de règles atypiques assimilés, le jeu se révèle étrangement ensorcelant. Quoi que très rapide, une partie en appelle étrangement une autre, comme si l’Appel était trop fort, jusqu’à ce que la folie nous prenne.

[1] Dit le gars qui ne l’a pas fait à l’époque.

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